Espaces de projection
Conférence 10.10.24 — Les belles lectures
Label Architecture par Philippe Koeune
I. Intérieur — Extérieur : dualité
L’architecture est l’art de la mise en espace.
On y façonne le vide par le plein.
En architecture on apprend à manier le plein, à faire en sorte qu’il soit stable, pérenne, expressif, neutre, étanche souvent, qu’il nous protège de notre environnement (l’eau, l’air, le chaud, le froid…).
L’espace du foyer — espace privé — est un plein qui nous contient et c’est en son sein que nous vivons. L’espace urbain — espace public — est un vide dans lequel nous circulons. L’espace public est extérieur à notre espace privé — l’intérieur.
Parler d’espace, de spatialité, fait irrémédiablement écho à notre corps et son inscription dans le monde. D’une part parce que c’est par le corps que l’expérience spatiale se fait et d’autre part parce que l’être humain fait l’expérience intime d’une intériorité et d’une extériorité.
Il y a l’intériorité de notre corps, physiologique (je sens mon cœur battre, le sang pulser dans mes veines, mon ventre gargouiller…), psychologique (les pensées et les émotions). L’expérience de notre corps en tant que tout organique aux limites définies à pour corollaire une extériorité. A noter que cette dualité intérieur / extérieur n’est pas innée et quelle s’élabore approximativement au cours des 18 premiers mois de l’existence.
(Ce point est crucial : notre rapport au monde est acquis !)
Dans quelle mesure sortir de chez soi n’est-ce pas sortir de soi ?
Dans quelle mesure accueillir quelqu’un chez soi implique une ouverture
sur soi ?
Nous habitons et nous sommes nous-même habités.
On sent s’opérer ici un glissement sémantique.
Un glissement, qui de l’architecture, de l’art de bâtir, nous amène à la psychologie. La psychologie est la discipline qui traite de nos espaces intérieurs.
L’objet de cette conférence concerne les liens entre, les espaces que nous contenons, les espaces intérieurs et les espaces qui nous contiennent dit extérieurs.
II. Intérieur — Extérieur : résonance
Les liens entre les espaces bâtis et nos espaces intérieurs ont été investis par diverses disciplines comme l’architecture bien-sûr, l’anthropologie, la philosophie, (je pense au travail de G. Bachelard), par la psychanalyse aussi à travers notamment l’analyse des rêves nocturnes.
Rêver d’un appartement, rêver d’une maison c’est mettre en image notre moi (notre personne). La cave, le grenier, le salon, la cuisine, le cabinet, tous ces pièces expriment une instance, une dynamique intérieure.
La cave nous parle de l’inconscient
Le grenier, du conscient, du rationnel, l’espace mental
La cuisine est le lieu de la transformation
Le cabinet, lieu de purification (les thérapeutes reçoivent dans leur cabinet)
Réver de découvrir une nouvelle pièce chez soi peut renvoyer à la mise en lumière de nouvelles ressources, d’une nouvelle part de soi.
etc.
Les espaces que l’on rencontre en rêve sont des espaces symboliques. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que les espaces rêvés se présentent à nous non pas pour ce qu’ils sont mais pour ce qu’ils re-présentent. Que peuvent-ils représenter ? Un nombre infini de choses — c’est une caractéristique du symbole que d’être sémantiquement inépuisable. Cette infinité a cependant certaines limites que sont le vécu / structure du rêveur et le vécu / structure de son espèce. Tout espace symbolique — comme d’ailleurs toute forme onirique — est un révélateur c’est-à-dire qu’il est une perche tendue vers un ailleurs. Tout symbole est doté d’un revers, d’un envers. C’est une autre caractéristique du symbole : sa capacité à dire sans dire, sa capacité à donner à voir sans éblouir.
Etymologiquement symbole vient du grec sumbolon, « signe de reconnaissance », dérivé de sumballein « jeter ensemble, joindre, réunir ». Un symbole est un pont qui relie l’inconscient au conscient et plus généralement toute valeur à sa contre valeur.
Pourquoi est-ce que je vous parle de rêve ?
Parce que ce qu’il se joue dans le creux de nos nuits n’est peut-être pas si différent que ce qui se joue dans le plein de nos jours.
Georges Romey, ingénieur et psychothérapeute français qui a théorisé la technique du rêve éveillé libre, nous explique qu’il y a deux voies d’appréhension de ce que l’on nomme le réel : une voie consciente qui s’attache aux choses en tant qu’objets ou sujets, en les intégrant dans un système fonctionnel, factuel. Ce qui est perçu renvoie à un référent identifié auquel une réponse logique est attribuée : cette porte en bois massif me donne accès au jardin. L’autre voie concerne la face souterraine de ce qui est perçu. L’objet glisse dans une zone où le sens se substitue au factuel, ou le fonctionnel se dédouble pour révéler une dimension aussi floue que effective à savoir la dimension inconsciente et symbolique des choses. La porte devient alors par exemple « un lieu de passage, une image médiatrice qui ouvre sur un au-delà de la conscience. » Dictionnaire symbolique des rêves, Georges Romey, p.505, Albin Michel.
Deux mondes coexistent, comme les deux faces d’une pièce et quand bien même il n’y aurait qu’une face perçue / prise en compte, l’autre n’en reste pas moins présente et agissante.
On commence à comprendre que notre rapport aux choses n’est peut-être pas si différent à l’état de veille qu’à l’état de sommeil.
Ramana Maharshi, un sage indou du XXe siècle fait mention de 3 états propres à l’existence : l’état de rêve, l’état de veille et le sommeil. Pour lui, il n’y a pas de différences entre l’état de veille et celui du rêve. Ou si, peut-être une, une différence arbitraire, la durée. L’état de veille est un rêve plus long que ce que nous nommons le rêve. Dans les deux cas nous nous trouvons devant un production du mental, une construction qu’il qualifie d’irréelle. Reste le sommeil sans rêve, cet état où il n’y a plus rien, ni souffrance, ni ego, où seul le Soi subsiste et qu’il considère comme l’état ultime.
III. Intérieur — Extérieur : miroir (jouons)
Je vous propose de jouer un jeu dans lequel ce qui est extérieur et intérieur est amené à se lier intimement. Au cours de ce jeu nous allons jouer à voir l’extérieur comme un révélateur de ce qui gît en nous, comme un reflet précis et concret de ce qui nous habite. Dit autrement nous allons appréhender le réel par la voie symbolique.
Comment accède t-on à cette voie ?
Par la projection.
Le Tarot de Marseille est un formidable outil projectif.
Comme on prépare un piano pour le faire sonner autrement, j’ai préparé l’espace dans lequel nous nous trouvons ce soir. J’ai choisi 22 éléments se trouvant dans cette pièce (colonne, mur, porte, … ) que j’ai associé à un arcane majeur du Tarot de Marseille (au nombre de 22).
Nous allons procéder à un tirage qui va tisser un lien entre une personne et ce lieu. Faire de cet appartement un espace de projection.

